la Fête de Guan di
关帝 Guāndì (prononcer « Kwan Tee ») est un héros guerrier déifié, populaire chez les migrants chinois. Il incarne la divinité des commerçants, des lettrés, de la justice, des militaires.
Comme toutes les divinités chinoises, il possède plusieurs noms correspondant aux différents titres accordés par l’administration impériale ou les différents courants philosophiques (taoïsme, confucianisme, bouddhisme) :
- 关羽 Guān Yǔ, 云长 Yún Cháng
- 關公 Guān gōng
- 关圣帝公 Guān shèng dì gōng
- 关圣帝君 Guān shèng dì jūn
- 关帝 Guān dì
- Sangharama Bodhisattva
JOUR DE FÊTE
La fête de 关帝 Guāndì est certainement la plus populaire à La Réunion, après le Nouvel An. C’est avec faste que l’on célèbre celui qui est né mortel et qui a été divinisé pour son courage et sa loyauté.
À La Réunion, 关帝 Guāndì est célébré à sa date d’anniversaire : le 24e jour de la 6e lune.
En Chine et en Asie du Sud-Est, il est plutôt coutume de célébrer 关帝 Guāndì à la date de sa déification : le 13e jour de la 5e lune.
SON HISTOIRE
L’histoire de 关羽 Guān Yǔ est extrêmement riche et complexe.
Son histoire est contée dans le 三国志演义 (Sān guó zhì yǎn yì) Roman des Trois Royaumes, écrit par 罗贯中 Luō guàn zhōng au XIVe siècle, ouvrage enseigné aux nouvelles générations chinoises, encore aujourd’hui.
L’historienne et écrivaine Edith Wong Hee Kam a publié son livre « Guan Yu – Guan Di, Héros régional culte impérial et populaire » en 2008, un ouvrage notable, dédié au héros guerrier et disponible en langue française. Le texte suivant ne se veut absolument pas exhaustif, et constitue donc une introduction sur l’histoire de 關公 Guān gōng.
关羽 Guān Yǔ serait né vers l’an 160 et décédé vers 220 après J.-C. Il naquit dans la province du 山西 Shān xī sous la dynastie 漢 Hàn (206 avant J.-C à 220 après J.-C [426 ans]).
Vers la fin du IIe siècle après J.-C, la dynastie 漢 Hàn entamait son déclin du fait que l’Empereur confiait l’essentiel du pouvoir aux eunuques dont la puissance augmentait de jour en jour. Le peuple est alors ravagé par la famine, les épidémies, la sécheresse… En l’an 184 après J.-C, surgirent des bandes d’insurgés qui mirent le pays en coupe réglée. C’est à ce moment que se soulève la Rébellion des Turbans Jaunes (黃巾之亂 Huáng jīn zhī luàn) menée par les frères 张角 Zhāng jiǎo, 张宝 Zhāng bǎo, 张梁 Zhāng liáng.
L’histoire de 关羽 Guān Yǔ commença en l’an 185 après J.-C, lorsque ce dernier rencontre 刘备 Liú Bèi et 张飞 Zhāng Fēi dans une auberge d’un village dans l’actuelle province du 湖北 Hú běi, lors d’un recrutement de volontaires désireux de combattre pour les 漢 Hàn. 刘备 Liú Bèi était un lointain descendant de l’Empereur 景 Jǐng des 漢 Hàn et tissait des tapis et des sandales en pailles pour vivre, 张飞 Zhāng Fēi était un boucher et commerçant de vin, et 关羽 Guān Yǔ un soldat. Ayant les mêmes souhaits de rendre son âge d’or à la dynastie, 张飞 Zhāng Fēi convia les deux hommes dans sa demeure pour y jurer fraternité en invoquant le Ciel et la Terre afin d’unir leurs forces en vue de sauver les 漢 Hàn. C’est ainsi que fut prononcé le célèbre Serment du Jardin des Pêchers 桃园结义 (Táo yuán jié yì) ; ces arbres fruitiers représentant l’engagement mutuel. Après le serment solennel, 刘备 Liú Bèi fut désigné frère aîné, 关羽 Guān Yǔ frère cadet, et 张飞 Zhāng Fēi le benjamin. Un banquet fut organisé et convia des centaines de villageois. Parmi eux, deux riches marchands leurs founirent argent, armes et chevaux et c’est ainsi que 刘备 Liú Bèi fit forger pour 关羽 Guān Yǔ, son arme légendaire : 青龙偃月刀 (Qīng lóng yǎn yuè dāo), la hallebarde du Dragon Bleu en forme de croissant de lune. En effet, le Dragon Bleu est aussi le nom du quadrant Est du Ciel d’où viennent chaque jour les forces naturelles du renouveau : l’arme de 关羽 Guān Yǔ est chargée d’énergie solaire (阳 Yáng) !
Ensemble, les trois frères jurés remporteront de multiples batailles contre les Turbans Jaunes, ce qui participera à l’effondrement de ces derniers en 205 après J.-C.
Vers 220 après J.-C, démarre la période des Trois Royaumes (三国 Sān guó) qui durera jusqu’en 280 après J.-C. La bataille du pouvoir se partage alors entre :
- le royaume de 蜀 Shǔ, contrôlé par 刘备 Liú Bèi, lointain descendant des 漢 Hàn
- le royaume de 魏 Wèi, contrôlé par 曹操 Cáo Cāo, le Premier Ministre, considéré comme usurpateur de la dynastie 漢 Hàn
- le royaume de 吳 Wú, contrôlé par le jeune 孙权 Sūn quán
Bien des péripéties suivront ensuite et nous vous recommandons de vous référer au 三国志演义 (Sān guó zhì yǎn yì) et l’œuvre d’Edith Wong Hee Kam (cf. supra) pour en savoir plus. Cependant, nous citerons tout de même quelques grands épisodes de la vie de 关羽 Guān Yǔ que les plus aguerris reconnaîtront :
- 刘备 Liú Bèi – 关羽 Guān Yǔ – 张飞 Zhāng Fēi combattent les Turbans Jaunes.
- Duel contre le général 華雄 Huá xióng (commandant de l’usurpateur 董卓 Dǒng zhuō) à la passe de 虎牢關 (Hǔ láo guān) : 关羽 Guān Yǔ l’emporte avant que la coupe de vin ne soit servie !
- 关羽 Guān Yǔ et 张飞 Zhāng Fēi affronte le puissant 呂布 Lǚ bù (bras droit de董卓 Dǒng zhuō) : c’est match nul !
- 关羽 Guān Yǔ perd la ville de下邳 Xià pī et est fait prisonnier du Premier Ministre 曹操Cáo Cāo avec ses 2 belles sœurs, 麋夫人(Mí fū rén) lady Mí et 甘夫人(Gān fū rén) lady Gān dans la « prison d’or »…
- Le Premier Ministre 曹操 Cáo Cāo offre 赤兔马 (Chì tù mǎ) « Lièvre Rouge », le puissant cheval du défunt 呂布 Lǚ bù, à 关羽 Guān Yǔ
- 关羽 Guān Yǔ quitte 曹操 Cáo Cāo, franchit les 5 passes et combat 6 généraux de 魏 Wèi
- Rencontre avec 周仓 Zhōu cāng, ancien chef rebel des Turbans Jaunes qui se rangea dans le camp de 关羽 Guān Yǔ pour ses valeurs : il fut son écuyer jusqu’à ces derniers jours…
- Rencontre avec 关平 Guān píng, fils biologique de 關定 Guān dìng, qui fut déclaré fils adoptif de 关羽 Guān Yǔ pour les valeurs portées par ce dernier
- Retrouvailles de 刘备 Liú Bèi, 关羽 Guān Yǔ, 张飞 Zhāng Fēi et 趙雲 Zhào yún à 古城 Gǔchéng : c’est un épisode phare, symbolisant l’union des quatre !
- 赤壁之战 (Chìbì zhī zhàn), c’est la Bataille de la Falaise Rouge : 蜀 Shǔ et 吳 Wú l’emportent par le feu sur 魏 Wèi grâce aux stratèges 诸葛亮 Zhū gé liàng et 周瑜 Zhōu yú ! 关羽 Guān Yǔ épargne 曹操 Cáo Cāo dans sa fuite, en guise de reconnaissance pour lui avoir épargné la vie autrefois…
- 关羽 Guān Yǔ devient un des 5 Généraux Tigres de 刘备 Liú Bèi avec 张飞 Zhāng Fēi, 趙雲 Zhào Yún, 黃忠 Huáng Zhōng et 马超 Mǎ Chāo : ces personnages sont incarnés dans la danse du lion, ils sont légendaires !
- La flèche empoisonnée de 龐德 Páng Dé transperce le bras droit de 关羽 Guān Yǔ. Le célèbre médecin 华佗 Huá tuó est appelé pour une chirurgie sans anesthésie autour d’une partie de jeu d’échec chinois… 关羽 Guān Yǔ gagne la partie !
- Une fin héroïque : repoussé à 樊城 Fán chéng par les troupes de 曹操 Cáo Cāo, tandis que la ville de 荊州 Jīng zhōu est prise par le général 呂蒙 Lǚ méng de 吳 Wú : 关羽 Guān Yǔ refuse de se soumettre et meurt décapité.
Au total, on retiendra que 关羽 Guān Yǔ est resté fidèle à la dynastie 漢 Hàn et que ses prouesses guerrières lui valent une grande réputation. Ce sont surtout ses valeurs morales (cf. infra) qui retiennent l’attention. On raconte ainsi qu’il n’a pas hésité à faire délivrer des généraux ennemis, au nom de leur courage au combat, ce qui lui a aussitôt conféré une aura de loyauté et de bonté.
关羽 Guān Yǔ fut d’abord vénéré en tant qu’héros, puis divinité taoïste puis comme Bodhisattva (personnage divin qui retarde son accession à l’état de Bouddha afin d’aider les êtres à atteindre l’illumination). Il fut ainsi élevé au rang de divinité au XVIe siècle sous la dynastie Míng 明 (1368 à 1644 après J.-C) par l’Empereur 萬曆 Wàn lì.
DES SYMBOLES ET DES VALEURS
Dans les temples, 关帝 Guān dì présente souvent un visage rouge, en référence à un épisode de sa vie avant sa rencontre avec ses frères d’armes. Après avoir entendu qu’un mandarin corrompu avait enlevé une jeune fille déjà fiancée pour en faire sa concubine, 关羽 Guān Yǔ décida de faire justice. Ce dernier saisit son sabre et alla tuer le mandarin et libérer la femme, puis se sauva par la passe de 东关 Dōng guān dans la sous-préfecture de 华阴 Huá yīn (山西 Shān xī). 关羽 Guān Yǔ avait déjà été signalé aux militaires et ne pouvait passer inaperçu. Il se réfugia dans un temple taoïste où une none lui fit laver le visage dans une source : l’eau colora son visage en rouge et il ne put être identifié par ses assaillants. Depuis, ce visage rouge est symbole d’intégrité, de loyauté et de droiture. C’est d’ailleurs ainsi que 关羽 Guān Yǔ est représenté dans les opéras traditionnels chinois.
关帝 Guān dì est le Protecteur des Lettrés. Il est souvent représenté assis, lisant un livre : il s’agit du 左氏春秋 (Zuǒ shì Chūn Qiū), Annales des Printemps et Automnes, compilés par 孔子 Kǒngzǐ (Confucius) au début du Ve siècle avant J.-C. Ce livre est l’un des Cinq Classiques chinois, lecture autrefois obligatoire pour devenir fonctionnaire. On dit que 关羽 Guān Yǔ maîtrisait parfaitement cette œuvre et qu’il était capable de la réciter par cœur.
À l’époque des Trois Royaumes (三国 Sān guó), les guerres que se livrent les prétendants au pouvoir sont des guerres déloyales, remplies de corruption où les divers partis s’achètent les meilleurs guerriers ou stratèges. La victoire s’y remporte non dans des mêlées franches mais au moyen de ruses, de traquenards, d’attaques par surprise. Les armes auxquelles on a recours peuvent être l’inondation comme l’incendie, où la population civile paie de sa vie. L’espionnage a plus d’importance que la bravoure. A l’opposé, l’enseignement confucéen réunit les 5 vertus (五常 Wǔ cháng) incarnées par 关羽 Guān Yǔ :
- 义 Yì : morale (être juste)
- 信 Xìn : confiance (parole)
- 礼 Lǐ : politesse
- 仁 Rén : bienveillance
- 智 Zhì : sagesse (discerner le bien du mal)
Enfin, le personage de 关帝 Guān dì est entouré de 13 valeurs importantes :
- 忠 Zhōng : loyauté
- 勇 Yǒng : courage
- 义 Yì : morale (être juste)
- 信 Xìn : confiance (parole)
- 礼 Lǐ : politesse
- 仁 Rén : bienveillance
- 智 Zhì : sagesse (discerner le bien du mal)
- 诚 Chéng : sincérité
- 正 Zhèng : droiture
- 大 Dà : héroïsme
- 光 Guāng : honneur
- 明 Míng : intégrité
- 孝 Xiào : piété filiale
LES TEMPLES OÙ GUAN DI EST CÉLÉBRÉ
Les temples de 关帝 Guān dì sont reconnaissables par un écriteau : 協天宫 (Xié tiān gōng) signifiant littéralement « Temple de Celui qui soutient le Ciel ».
À La Réunion 留尼旺岛 (Liú ní wàng dǎo), 关帝 Guān dì est à l’honneur dans 5 temples :
- Temple世昌堂Saï Tsiong Tong à Saint-Denis
- Temple 利涉堂 Li Si Tong à Saint-Denis
- Temple 新隆旅館 San Long Loï Kun à Saint-Denis
- Temple 關帝廟 Guān dì miào à St Pierre
- Temple 關帝廟 Guān dì miào à Terre Sainte
Dans ces temples, à l’exception du 關帝廟 Guān dì miào de St Pierre, il est entouré de son fils adoptif关平 Guān píng (visage blanc) et de son écuyer 周仓 Zhōu cāng (visage noir) en mémoire du trio qui combattait toujours ensemble sur les champs de bataille.
À l’île Maurice, de nombreux temples sont consacrés à 关帝 Guān dì mais on notera la particularité du temple 劉關張趙 (Liú Guān Zhāng Zhào), en l’honneur de quatre personnages emblématiques des Trois Royaumes (三国 Sān guó) : 刘备 Liú Bèi, 关羽 Guān Yǔ, 张飞 Zhāng Fēi, 趙雲 Zhào Yún. Un second but était aussi de réunir les familles 刘, 关, 张, 趙 en y rappelant leur fraternité éternelle, même loin de la Chine.